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Le Tahâfut al-Tahâfut d'Averroès en ligne (Bibliotheca Arabica Scholasticorum, Série arabe III).
L’Incohérence de l’incohérence d'Averroès (Tahâfut al-Tahâfut) est un ouvrage polémique, réfutation systématique d’un livre du grand théologien oriental al-Ghazâlî intitulé L’Incohérence des philosophes (Tahâfut al-falâsifa), écrit à Bagdad en 1094-1095. Al-Ghazâlî (m. 1111) s’illustra dans tous les domaines du savoir musulman, droit, mystique, mais c’est en tant que défenseur de la doctrine ash‘arite qu’il formule cette critique des philosophes. Jouissant d’une immense autorité, son ouvrage avait marqué en Orient le départ d’une “réaction” anti-philosophique qui devait avoir des conséquences aussi dans l’Occident musulman, où l’adhésion à al-Ghazâlî est grande, y compris chez certains adeptes de l’almohadisme. En témoigne, par exemple, l’attitude d’un contemporain d’Averroès, le logicien Ibn Tumlûs (m. 1223), qui explique dans le prologue de son Introduction à l’art de la logique que lorsque la “providence divine” envoya le Mahdî, celui-ci incita à la lecture des livres d’al-Ghazâlî en déclarant que les doctrines de ce dernier étaient d’accord avec les siennes, et que dès lors, tout le monde se mit à lire les livres d’al-Ghazâlî, “sauf ceux que domine l’extrême immobilisme parmi les conformistes radicaux”. Pour Averroès, dont l’effort consiste précisément à persuader l’élite intellectuelle qu’Ibn Tûmart incline vers Aristote, la diffusion de telles opinions est bien sûr désastreuse.
Al-Ghazâlî instruit le procès des philosophes à partir de la lecture d’Avicenne, dont il connaît remarquablement l’oeuvre. La plupart des arguments qu’il expose trouvent leur source dans le Kitâb al-Najât (Livre du Salut). Il considère que la pensée d’Aristote et des philosophes grecs a été parfaitement exprimée dans l’Islam par al-Fârâbî et Avicenne, et que l’on peut se dispenser de citer les autres. Cette hégémonie d’Avicenne, avec sa part de syncrétisme, est caractéristique de l’évolution de la culture philosophique orientale à l’époque d’al-Ghazâlî. Les références d’Averroès, dont le projet consiste précisément à revenir à Aristote, sont évidemment différentes. Aussi ses réponses reviennent-elles souvent à montrer que les griefs d’al-Ghazâlî contre “les philosophes” s’appliquent peut-être à une philosophie, celle d’Avicenne, mais non à la “vraie” philosophie, celle d’Aristote. Les thèses mises en cause, reprises par Averroès et discutées point par point, sont au nombre de vingt, seize portant sur la métaphysique et quatre sur la physique. Parmi les thèses qu’attaque al-Ghazâlî, trois méritent selon lui d’être qualifiées d’ “hérétiques”, ou plutôt d’ “infidèles”, c’est-à-dire que celui qui les soutient s’exclut de la communauté musulmane: l’éternité du monde, la non-connaissance par Dieu des particuliers et la non-corporéité de la vie future. L’enjeu est donc crucial. Les convictions philosophiques d’Averroès au moment de ce travail sont celles de la maturité. Dans ce contexte polémique, il ne les exprime certes pas de la même manière que dans les Grands Commentaires philosophiques qui viendraient bientôt après. Mais à condition de prendre en compte cette différence de registre, les théories auxquelles se réfère Averroès dans l’Incohérence ne diffèrent pas, en général, de celles des œuvres qu’il écrirait dans la période immédiatement suivante.